Aurélien Dumont : Le "troisième sens" du discours musical ou l'art du lien - Entretien avec Isabelle Françaix
A l'occasion de la création de sa pièce "Epopées - Pauses pluitées" par Musiques Nouvelles le 13 mars 2012 à Flagey dans le cadre d'Ars Musica.
Epopées – Pauses pluitées est un titre très poétique pour cette pièce qui sera créée par Musiques Nouvelles à Ars Musica. En quelle mesure les mots et les sons se répondent-ils dans votre travail?
J'accorde beaucoup d'importance au titre. Quand j'écris une pièce, je rédige bien souvent la note de programme parallèlement à l'écriture musicale. Cela me permet d'éclairer mon propos et de débloquer certaines situations musicales. Le titre apparaît souvent au bout de ce cheminement. J'accorde de l'importance à son évocation poétique et sa sonorité. Ici, l'allitération des «p» évoque une certaine légèreté. J'évite ce qui est trop pompeux ou trop «assis».
D'où vient cette thématique de l'épopée au pluriel?
Dans mon étude, Traversées – Pause pluitée, la comptine n'apparaissait jamais. Elle était masquée sans qu'on puisse la reconnaître. Le passage de la «traversée» à «l'épopée» se fait en assumant l'hétérogénéité. En soubassement, une sorte de «thème et variations» de cette comptine originale apparaît de manière saillante et s'intègre (je le souhaite en tout cas) à l'univers que je compose. Il ne s'agit pas d'une confrontation ni d'une superposition de sons concrets et instrumentaux… J'essaie d'éviter cette tension.
Comment cela influence-t-il votre discours musical?
Le compositeur qui me touche et m'inspire le plus est certainement Claude Debussy, le premier à penser le discours musical sous forme d'objets se répétant, évitant ainsi tout développement classique du matériau. Ceci amène à une perception temporelle assez singulière de la musique à l'époque. En général, les compositeurs travaillent à partir des paramètres du son: la hauteur, le timbre, le rythme, les dynamiques, etc. Quant à moi, je m'intéresse davantage à l'élaboration d'objets qui naissent d'abord de combinaisons de timbres associées à des hauteurs et des durées fixes : on associe une structure orchestrée avec une disposition d'accords qui ne bougera pas ensuite. L'objet devient alors la plus petite unité du discours, comme un organisme vivant que je ne souhaite pas décomposer en paramètres. Cependant, quelle est la nature de cet objet? Est-il référencé, «référençable», connoté? Quelle est sa couleur? Comment parlera-t-il à notre imaginaire? C'est dans la mise en regard des différents objets et de leur qualité que se situe, obliquement, le discours musical: un troisième sens au cœur d'une cartographie temporelle, qui peut déployer par moments une certaine forme de narrativité.
Quels sont les objets d'Épopées – Pauses pluitées?
Je voulais voir jusqu'où il était possible d'explorer le déploiement d'objets différents. Le «bip-bip» de l'avertisseur du passage clouté, le trafic routier, le son concret de la pluie… Mais sans gratuité. J'ai donc beaucoup travaillé sur un mode de jeu particulier aux cordes, le col legno battuto, où le fait de jouer avec le bois de l'archet imite vraiment le bruit de gouttes qui tombent. Les hauteurs seront aussi jouées de manière classique, le doigt de la main gauche étant posé sur la touche tandis que l'archet excite les cordes. En étouffant les cordes en revanche, c'est le positionnement de l'archet qui provoquera une hauteur différente. Ces deux émissions de col legno sont beaucoup utilisées dans la pièce, de manière électroacoustique également. J'ai travaillé sur la une synthèse par modèle physique, calculée sur des modèles mathématiques de cordes; on peut donc simuler une corde d'une vingtaine de mètres, par exemple. De plus, on peut obtenir grâce à cela des simulations de col legno extrêmement aigus quasi impossibles à obtenir autrement.
Vous utilisez donc uniquement du temps différé?
J'intègre également une synthèse en temps réel liée à la périodicité du signal émis à d'autres endroits, pour simuler une ombre du violoncelle, comme une épaisseur supplémentaire. Le temps réel a une place importante dans cette pièce également avec de petites improvisations générées par l'ordinateur ainsi que par d'autres types de synthèse ou de traitements - synthèse granulaire ou délai spectral.
Vous êtes entré dans la classe de Gérard Pesson au CNSM en 2007. Quelle a été l'influence de ce compositeur sur votre travail personnel?
L'importance de la perception! Il ne faut pas oublier que l'on doit pouvoir entendre la musique avant tout, et Gérard Pesson encourage à travailler dans cette direction.
La musique a-t-elle un sens?
Oui! Mais, quant à le définir et le cerner… Elle éveille les consciences. C'est l'art du temps par excellence; elle est impalpable et abstraite. Ce n'est que de l'air en vibration qui vibre et pourtant procure d'incroyables sensations, nourrissant notre imagination à l'infini.
Vous l'accompagnez souvent de textes cependant?
C'est capital. La moitié de mes pièces sont avec textes ou s'appuient sur des supports littéraires. Non que la musique ait besoin de textes pour exister. Loin de là. Mais j'aime travailler avec d'autres artistes, comme le poète Dominique Quelen. Je viens d'écrire la musique d'un film. J'ai écrit pour le théâtre musical… Un espace se crée, fait de partages et de collaborations.
Comment s'inscrit un jeune compositeur dans notre monde contemporain, saturé d'informations et de sons?
BIOGRAPHIE - AURELIEN DUMONT
La musique d'Aurélien Dumont se centre principalement sur la recherche d'une relation particulière entre le timbre et la forme, souvent inspirée par l'univers littéraire - Dickinson, Borgès, Luca ou Volodine. Sa démarche le conduit à travailler en étroite collaboration avec le poète Dominique Quélen pour des pièces pour ensemble baroque, opéra et cantates...