Michel Jamsin : Un ironique enthousiaste - Entretien Isabelle Françaix
Né à Fléron en 1941, Michel Jamsin fait ses études artistiques à l'Académie des Beaux-Arts de Mons, avec Gustave Camus comme professeur. Dès 1965 il enseigne le dessin à l'Ecole supérieure des Arts plastiques et visuels de Mons.
Il est cofondateur du groupe Maka, composé d'artistes néo-expressionnistes, qui organisa de vastes manifestations artistiques internationales dans les années 70 et sera prolongé par les activités des groupes Art Cru et Polyptyque dans les années 80. Cette tendance longtemps tenue à l'écart des arts institutionnels se diffusera comme une nouvelle avant-garde en France, en Allemagne et en Italie, à partir de 1980 (Garouste, Combas, Kiefer, Baselitz, Chia, Clemente, Cucci…).
Que ce soit par la sculpture ou la peinture, Michel Jamsin met en scène le théâtre de la vie quotidienne, tout en mêlant intimement réalité et imaginaire ; il crée ainsi de constantes interrogations plastiques et humaines de type post-surréaliste et ce, au travers d'un Art Cru fort éloigné de tout conformisme social ou esthétique. (Extrait de XXe siècle – L'Art en Wallonie, sous la direction de Serge Goyens de Heusch)
Entretien
En art et principalement en théâtre, je fonctionne à peu près en parallèle. J'ai commencé à écrire des pièces de théâtre à 20 ans et j'ai démarré avec des formes classiques proches du boulevard. Puis je me suis rendu compte que je m'intéressais davantage au théâtre expérimental. Je n'aime pas beaucoup le théâtre qui se veut psychologiquement réaliste; j'ai besoin d'une transposition forte. Selon moi, l'opéra a trouvé un mode d'expression fabuleux: on y raconte des histoires, on dialogue mais en intégrant de la musique, en chantant et en acceptant même des mimiques à la limite du ridicule, la bouche grande ouverte!
L'opéra me plaît pour cette transposition artistique. Il se révèle souvent spectacle total et grandiose, voire grandiloquent. Pour ma part, je me sens plus à l'aise dans des formules plus petites et plus simples, à dimension humaine. J'avais donc envie d'aller à contre-courant de la vision traditionnelle de l'opéra.
J'écris volontiers des contes radiophoniques et de courtes nouvelles. J'avais lancé l'idée d'une série de petits opéras à Jean-Paul Dessy il y a cinq ou six ans puis à Daniel Cordova. Je pensais que plusieurs auteurs interviendraient. Cependant, il fallait que je prouve qu'écrire des mini opéras avec peu de récitatifs, voire aucun, et principalement des chants qui racontent toute l'histoire, était possible. J'ai donc écrit en tout premier Ressusciter. Ce texte leur a plu et ils m'ont demandé d'écrire les autres. Je me suis orienté vers un humour grinçant, quitte même à ce qu'il devienne un humour noir.
Pourquoi ce titre, en référence à Wagner?
Le titre est venu après. Quatre opéras, il me semblait que c'était largement suffisant pour un spectacle. D'autant qu'avec un texte qui peut être dit en dix minutes, la musique en produit facilement vingt! Ces quatre textes pouvaient être installés en une logique narrative plausible: on démarre avec un puceau qui rencontre l'amour, puis c'est l'amour vénal, l'amour qui mène à la mort jusqu'à la résurrection. Si Wagner est évoqué, c'est en prenant le contre-pied de ses opéras.
Y a-t-il un librettiste, parmi les grands auteurs de l'opéra, qui vous ait influencé?
Je ne connais pas de nom de librettiste! Je ne me rendais même pas tout à fait compte de l'importance du librettiste jusqu'ici… Je m'y suis intéressé il y a peu et me suis penché sur l'écoute des grands opéras en suivant le livret. Cependant, dans la plupart des opéras classiques, les ressorts dramatiques sont un peu tirés par les cheveux pourvu que l'héroïne meure à la fin. On s'arrange d'ailleurs pour qu'elle soit malade et tuberculeuse dès le début. En théâtre pur, ça ne passerait probablement pas.
Quel est votre rapport à la musique?
L'un des compositeurs qui me touchent le plus et qui a sans doute orienté mon choix des petits opéras, c'est Gluck à travers Orphée et Eurydice. En son temps, il fut remarqué pour son action relativement courte et dépouillée pour laquelle trois personnages suffisaient. Je l'avais vu présenté par des marionnettes à Prague. C'était simple et compact. J'ai perdu mon Eurydice est le type même du chant que j'aimerais pouvoir retrouver dans les mini opéras. Il est court, beau, facile à retenir, on peut l'écouter dans de nombreuses versions; il fonctionne toujours.
Vous vous définissez vous-même joyeusement comme un «touche-à-tout en art»: peinture, sculpture, écriture dans différents genres… Comment conciliez-vous ces différentes facettes? Unité ou multiplicité?
Je ne suis pas sûr d'avoir employé moi-même ce mot de «touche-à-tout». Même si je suis éclectique, ma dominante se trouve dans les arts plastiques et avant tout la peinture. Mais j'ai la sensation que le théâtre lui est très proche. A travers mes mises en scène, j'ai la sensation d'organiser une sculpture vivante: on y retrouve le rythme, la couleur, l'ambiance, la composition, l'espace. Comme plasticien et amateur d'art, j'ai du mal à aimer autre chose que le figuratif; le sujet a donc toujours pour moi une grande importance. Le théâtre n'est pas abstrait, hormis peut-être dans l'orientation du théâtre danse… J'ai besoin d'un sujet offensif qui ne soit pas neutre. Ce qui ne veut pas dire que je souhaite un théâtre rationnel ni directement lisible, au contraire! L'énigme poétique en tout art me paraît indispensable.
Qu'est-ce qui est à l'origine d'une nouvelle œuvre, qu'est-ce qui vous conduit tout à coup vers un art plutôt qu'un autre? Une idée abstraite, une réflexion, un sentiment...?
Je ne sais plus qui a dit: «En art, je préfère ce qui me touche à ce qui me surprend, mais je ne suis touché que par ce qui me surprend.»
Pouvez-vous travailler sur plusieurs œuvres à la fois?
Dans des domaines différents, oui. Mais généralement, quand je commence une œuvre, je la termine, ce qui ne veut pas dire que je n'en termine pas une autre à côté. En tout cas, je ne laisse pas cinq peintures en route, que je reprendrais les unes après les autres avec le temps. Je ne m'éternise pas sur une œuvre, mais je la prépare mentalement assez longtemps.
Pour La petite tétralogie, j'avais déjà pensé des textes entiers, la nuit ou le matin, avant de les écrire.
Votre regard est à la fois caustique, drôle, tragique et facétieux: l'art pour vous a-t-il un sens?
La vraie magie, c'est d'écouter une musique qui n'a pas de signification immédiate mais qui provoque tous les degrés d'émotion, de sublimation et de transcendance, où la beauté, la force, la puissance ou l'expressivité se manifestent à travers l'intuition. C'est instinctif, imaginatif, émotionnel…
Co-fondateur du groupe MAKA (artistes expressionnistes des années 70) puis représentant de l'Art cru et Polyptyque dans les années 80, à l'écart des arts institutionnels, considérez-vous l'art comme une forme d'engagement?
Plus jeune, j'ai pu discuter avec de vieux artistes qui voyaient l'art comme une poésie avant tout: ils peignaient des images fantastiques et surréalistes sur de la poésie antique. J'étais à l'époque choqué par une certaine misère sociale et je ne comprenais pas que l'artiste puisse se mettre en dehors de tout cela. Cependant, je trouvais l'art social et l'art à messages assez casse-pieds et finalement trop illustratifs. Ce qui ne fonctionnait pas non plus selon moi.
Un jour, un collectionneur m'a dit que j'étais un peintre philosophique. J'en ai accepté l'idée mais au-delà de la signification de l'image, j'ai besoin du «pictural» que je situe dans la sensualité de la couleur ou de la matière. Le lisse, l'épais, le tumulte, le calme: le pictural l'emporte pour moi sur l'image, même si celle-ci est indispensable comme support.
«L'art contemporain»: est-ce une appellation qui vous semble signifiante?
Cette expression a été usurpée par le conceptuel, le minimaliste, l'installation. Ce sont des institutionnels qui le définissent principalement: des commissaires d'exposition, des galeristes, des institutions culturelles. Ce que je trouve assez choquant. Je préférerais que ce soient les artistes!
Vous sentez-vous un artiste wallon? Trouvez-vous un sens à cette appellation?
Oui, ce n'est pas capital mais je suis étonné moi-même de me découvrir une parenté avec certains artistes qui ont gravité autour de Mons, tels qu'Anto Carte par exemple. Ce goût de la forme précise, de la dramatisation ou à l'inverse de la douceur extrême… Pourquoi cette liaison? Je ne sais pas. Je suis né à Fléron du côté de Liège. J'ai habité à Clabecq 25 ans… Mais j'ai fait mes études à Mons qui est devenu mon fief. J'ai aussi un quart de sang flamand et s'il est vrai que les Flamands ont une sensualité de plasticien, elle fait partie de moi aussi!
Quelles sont les œuvres qui ont compté et comptent pour vous?
Le Greco me touche toujours énormément. Brueghel aussi; l'expressionnisme flamand de Permeke et de Frits Van den Berghe aux dimensions poétique, énigmatique et fantastique, irrationnelle et insolite.
Y a-t-il une évolution dans votre œuvre personnelle?
J'ai l'impression d'être dans une sorte de continuité. Chronologiquement, des périodes artistiques se sont succédé dans ma vie. Pour les uns, c'est un manque de stabilité ou de voie bien orientée; pour les autres, c'est plutôt la manifestation de l'imagination. Je m'amuse bien en art et je ne regrette rien. Si un jour je refais un livre de mise au point sur mon travail, je l'appellerai «Enthousiasme»*!
Avez-vous un rêve?
Michel Jamsin en quelques dates
Prix du Hainaut en 1971.
En 1979, il est un des membres fondateurs du Collectif Théâtre de Mons.
En 1991 il monte un spectacle-exposition expérimental, Curry, à la Maison de la Culture de Mons.
En 1992, il installe une grande rétro(per)spective dans tout le Musée des Beaux-Arts de Mons.
En 1999, il conçoit un monument d'acier inoxydable pour la commune de Brugelette.
En 2004, il crée Contre-Jour, un spectacle d'ombres et d'objets, expérience théâtrale de plasticien.