La poussière du temps marque la dernière collaboration de la compositrice Eleni Karaindrou avec Theo Angelopoulos, avant la mort du cinéaste grec le 24 janvier 2012. Depuis Le voyage à Cythère, ce concert-portrait nous invite à un voyage purement musical, où frémissent dans nos mémoires, les images de complicités musicales et cinématographiques.
Parallèlement, le
tout nouveau ciné-club du Studio 5 projette
The weeping meadow (23 janvier - 21h30 -
CLIC) et
L'éternité et un jour (25 janvier - 21h30 -
CLIC) de
Theo Angelopoulos.
Eleni Karaindrou : Les rêves de la mémoire
«Je n'aime pas dire que ma musique exprime des sons de la nature, comme on me le demande souvent. Elle exprime seulement des sentiments.»
Entretien avec Benoît Basirico – Cannes – mai 2012
Très attachée aux sources de la culture grecque, Eleni Karaindrou a étudié l'ethnomusicologie à Paris et fondé le Laboratoire des instruments traditionnels du Centre Culturel ORA en Grèce. Cependant, elle sépare son intérêt pour la musique populaire de sa propre musique, utilisant les sonorités d'instruments tel que le santouri de façon non traditionnelle. Compositrice pour le théâtre et le cinéma, Eleni Karaindrou a beaucoup travaillé avec des cinéastes grecs, essentiellement Theo Angelopoulos, dont les images sont inséparables de sa musique. Citons encore ses rencontres marquantes avec Chris Marker, Jules Dassin et Margarethe von Trotta… Son travail transcende les conventions du genre; plutôt que d'illustrer ni même d'accompagner le scénario d'un film, sa musique en habite le cœur et l'âme, créatrice de visions et d'idées nouvelles.
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Eleni Karaindrou est née en 1941 à Teichio, petit village forestier, isolé dans la région montagneuse de Rouméli, en Grèce centrale: «Je me souviens de la musique du vent, et de la pluie qui ruisselle sur le toit et dans les rues. J'entends les rossignols. Et le silence de la neige. (…) Je me souviens des voix des femmes qui chantaient de belles chansons polyphoniques en égrenant le maïs, la nuit, tandis que les enfants comptaient les étoiles, couchés sur le sol autour d'elles. Je me souviens des mélodies byzantines que j'écoutais à l'église, et de la voix des hommes qui accompagnaient le chantre.» Après le silence éloquent des montagnes, où se répercute l'écho des flûtes et des clarinettes lors des fêtes de village, elle découvre, quand sa famille emménage à Athènes, «la voiture, l'électricité, la radio et les films». Hasard ou destin, elle habite juste à côté d'un cinéma. A 8 ans, Eleni découvre les films et le piano, une double passion qui nourrira sa vie. Elle improvise des mélodies dès qu'elle s'installe au clavier, et passe 14 ans (de 1953 à 1967) à l'étude du piano et de la théorie au Conservatoire grec d'Athènes, Hellenikon Odeion. Cependant, la composition lui vient naturellement et elle se reconnaît volontiers comme «compositrice instinctive».
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En 1967, la Dictature des Colonels (la Junte) la pousse hors de Grèce; elle s'installe à Paris avec son fils et, diplômée en philosophie de l'Université d'Athènes, bénéficie d'une bourse française qui finance ses études en ethnomusicologie à la Sorbonne: «J'ai pris conscience du monde musical de mon enfance en étudiant ». Elle mène en parallèle à ses recherches sur les racines de la musique, des études d'orchestration et de direction d'orchestre à la Schola Cantorum, tout en écrivant des chansons qui font le tour du monde: «les mélodies me venaient très facilement».
Son retour en Grèce est marqué par la sortie de son premier album, Le Grand éveil, sur des poèmes de Myris, pour Maria Farantouri en 1975. Elle fonde parallèlement le Laboratoire des Instruments traditionnels au Centre Culturel ORA et collabore avec Manos Hadjidakis à la création du Troisième Programme de la Radio grecque.
Depuis 1975, Eleni Karaindrou a composé la musique d'une cinquantaine de pièces de théâtre, de plus de 22 films et 15 programmes de radio et télévision, aux côtés de cinéastes tels que Jules Dassin, Lefteris Voyatzis, Vassilis Papavassiliou, Maya Lymberopoulou, Christoforos Christofis, Chris Marker… De 1986 à 2012, elle crée la musique de plus de 30 pièces différentes mises en scène par Antonis Antypas à l'Aplo Theatro et à l'Ancien Théâtre d'Epidaure, parmi lesquelles Les Troyennes (2001) et Médée (2011). Sa longue collaboration avec Theo Angelopoulos, qu'elle nomme affectueusement «le conteur poète», commence en 1983 avec Le Voyage à Cythère. Suivront L'Apiculteur, Paysage dans le brouillard, Le pas suspendu de la cigogne, Le regrd d'Ulysse, L'Eternité et un jour, La terre qui pleure et La Poussière du temps.
En découvrant le label ECM en 1976, Eleni Karaindrou reconnaît son univers: «J'ai alors improvisé et composé, me fiant à mes sentiments, sans préjugés idiomatiques ni stylistiques». Le fondateur du label, Manfred Eicher, a produit à ce jour 9 albums de la compositrice.
1979 est pour elle un nouveau départ. Sa musique pour le film Wandering de Christofis lui semble marquer un tournant décisif dans son écriture. Elle sent que son approche instinctive est juste, fidèle au rythme intérieur du film plus qu'à ses images: «L'idée est plus essentielle pour moi que l'image; en la saisissant, je peux alors chercher librement en moi-même ce qu'il me faudra écrire.»
«Ma relation au mouvement de la caméra est fondamentalement plus importante que ma relation au scénario. Bien sûr, la musique doit souligner l'histoire, mais le sens du film n'est pas toujours explicite dans le script. Image et musique doivent se combiner pour dire ce qui ne peut être facilement exprimé en mots. Ma musique tente d'offrir un contrepoint à l'histoire, qu'influenceront le scénario, le lieu du tournage, les acteurs, le montage… Avec Theo Angelopoulos, nous travaillions sur les concepts d'un film avant même l'écriture du scénario. C'est un homme qui ressentait beaucoup et disait peu. Il était important pour moi de comprendre les idées qui se trouvaient aux racines de son travail pour l'aider à exprimer ce qui ne pouvait l'être verbalement. J'ai parfois trouvé le thème d'un film en même temps qu'il en terminait le scénario.»
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Eleni Karaindrou se produit également en concert à travers le monde, jouant ses musiques les plus connues mais également un répertoire d'œuvres symphoniques inédites auprès d'orchestres prestigieux tels que le Stuttgart Chamber Orchestra ou le Düsseldorf Symphony Orchestra.
Son œuvre a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles cinq Film Music Awards en Grèce, le Dimitris Mitropoulos award au théâtre, le Fellini award du meilleur compositeur de cinéma européen en 1992, la croix de l'Ordre du Mérite remise en 2002 par le Président de la République Hellénique et la nomination au Felix de la meilleure partition cinématographique pour La terre qui pleure en 2004.
Isabelle Françaix
Sources de cet article :
musicolog.com - Steve Lake
Cinezik – Entretien avec Benoît Basirico
Distribution
Eleni Karaindrou (piano solo)
Musiques Nouvelles, direction Jean-Paul Dessy
Nicolas Miribel, Claire Bourdet, Chloé Burlet, Cristina Constantinescu, Laurent Houque, Nicolas Marciano, Véronique Lierneux (violons), Pierre Heneaux, Antoine Combot (altos), Jean-Pol Zanutel, Pascale Mattot (violoncelles), Thomas Fiorini, Philippe Corman (contrebasses), Berten D'hollander (flûte), Sébastien Vanlerberghe (hautbois), Charles Michiels (clarinette), Jean-Louis Ollé (basson), Denis Simàndy (cor), Julien Théodor (trompette), André Ristic (piano), Alice Pêtre (harpe), Yuko Fujikura (mandoline), Christophe Delporte (accordéon), Pierre Quiriny (percussions)
PROGRAMME
1. On the Road (The Weeping Meadow – Theo Angelopoulos)
2. The Weeping Meadow (– Theo Angelopoulos)
3. Refugee's Theme (The Suspended Step of the Stork – Theo Angelopoulos)
4. Dance (Ulysse's Gaze – Theo Angelopoulos)
5. Depart and Eternity Theme (Eternity and a Day – Theo Angelopoulos)
6. Anna's Dream (L'Africana – Margarethe von Trotta)
7. Theme of the Spring (L'Africana – Margarethe von Trotta)
8. Waltz by the River (Dust of Time – Theo Angelopoulos)
9. Farewell Theme (The Beekeeper – Theo Angelopoulos)
10. Voyage (Journey to Cythera – Theo Angelopoulos)
11. Waiting (The 10 – Série)
12. Seeking (Dust of Time – The Angelopoulos)
13. Le mal du pays (Dust of Time – Theo Angelopoulos)
14. Valse (The Beekeeper – Theo Angelopoulos)
15. Refugee's Theme (The Suspended Step of the Storck – Theo Angelopoulos)
16. Nostalgic in 5/8 (The 10 – Série)
17. Memories from Siberia (Dust of Time – Theo Angelopoulos)
18. Trieste (Rosa – Christophoros Christophis)
19. Elegy for Rosa (Rosa – Christophoros Christophis)
20. Adagio, Father's Theme (Landscape in the Mist – Theo Angelopoulos)
21. Parade (Happy Homecoming Comrade – Nikos Xanthopoulos)
22. Return (Happy Homecoming Comrade – Nikos Xanthopoulos)
23. Cantine Rock (The Beekeeper – Theo Angelopoulos)
24. Theme of the Uprooting (The Weeping Meadow – Theo Angelopoulos)
25. The Weeping Meadow II (Theo Angelopoulos)
26. Eternity Theme (Eternity and a Day – Theo Angelopoulos)
Coproduction
Le manège.mons/Musiques Nouvelles ‘'50'' – Flagey ‘'75'' – Bozar – Ghent Film Festival