Imprimer Chercher

Todor Todoroff : Matières et cinétique de l'imagination - Entretien Isabelle Françaix

 

Aujourd'hui musique et recherches technologiques de pointe forment un couple inventif, novateur et fécond. Beaucoup de jeunes compositeurs ont bénéficié d'une formation scientifique poussée et interrogent le langage électronique. Le compositeur Todor Todoroff (1963*) est en Belgique l'un des musiciens les plus actifs en ce domaine. Il a repris depuis mars 2008, dans le cadre du projet Numediart, la recherche à la Faculté Polytechnique de Mons. Membre fondateur et président de la FeBeME (Fédération Belge de Musique Électroacoustique) et d'ARTeM (Art, Recherche, Technologie et Musique, Bruxelles), membre du bureau de la CIME (Confédération Internationale de Musique Électroacoustique), il développe des outils d'aide à la composition et des systèmes interactifs pour installation sonore et pour la danse, amoureux passionné des sons, de leurs possibles et de leurs rencontres.

Todor Todoroff, que signifie pour vous l'appellation « musique contemporaine » ?

Sans entrer dans les classifications de genre, j'ai l'impression qu'à chaque époque, l'état du monde et les pensées qui circulent influencent les compositeurs et leur musique.
 
La manière de composer dépend du bagage de chacun, de son parcours et de ce qu'il a envie d'exprimer. Certains sont intéressés par la forme, le son ou l'émotion, la transmission de certaines idées de manière plus ou moins abstraite… La musique contemporaine semble avoir acquis le droit à la diversité. Il n'y a plus de grandes écoles pour dominer l'entièreté du paysage et imposer leurs visions à tous les compositeurs qui désirent trouver un canal de diffusion. La généralisation de l'Internet a certainement accentué ce mouvement.
 
Aujourd'hui, différentes esthétiques peuvent coexister et chacune trouver son public.
 

Il devient de plus en plus difficile d'aborder la musique contemporaine comme un tout. La définir me semble beaucoup plus difficile qu'auparavant et… je n'en ressens d'ailleurs pas le besoin.

Quel est votre propre parcours ?

Il n'est pas très linéaire, compte tenu de mes premières approches musicales : quelques années de piano avec un prof privé lorsque j'étais enfant-adolescent. J'ai d'abord été intéressé par les montages électroniques qui produisaient du son et j'ai construit un synthétiseur vers 16 ans. J'ai « auto-éduqué » mon oreille en fonction des circuits que j'élaborais.
 
Vers 8 ans, je construisais de petites radios extrêmement mauvaises avec juste une diode, une bobine… tout ce que je trouvais ! Je démontais des postes, des téléviseurs, je remettais les pièces ensemble et j'avais de petits écouteurs à cristal qui n'ont pas besoin de beaucoup d'énergie pour produire du son. Je les écoutais avant de m'endormir : sur les ondes courtes, j'entendais un mélange (car cela ne se syntonisait pas correctement) de russe, de chinois, etc. Mais il y avait cette sonorité : cette magie de choses très lointaines et qui venaient à moi. Je pense que ça a beaucoup orienté mon travail avec les voix parlées plutôt qu'avec les voix chantées !
 
Ensuite j'ai voulu apprendre à construire des instruments, c'est pourquoi j'ai fait Polytechnique. Je voulais faire de la musique mais mes parents y étaient assez opposés car ce n'était pas une profession qui permettait de gagner sa vie ! Après Polytechnique, je suis allé au Conservatoire et j'ai étudié chez Annette Vande Gorne. Je me suis trouvé à un point de rencontre : j'avais développé une pratique assez expérimentale (et très incomprise de mon entourage) et une autre plus dans l'air du temps car j'appartenais à un groupe qui faisait de la New Wave… La partie plus expérimentale m'intéressait davantage mais autour de moi, on disait : « Ces choses-là ne ressemblent à rien… » En arrivant chez Annette Vande Gorne, une série d'horizons se sont ouverts. J'avais une assez grande maîtrise technologique mais la plupart du temps, je n'étais pas très attiré par la formalisation ni la composition. Je me contentais de la découverte de matières sonores et je me laissais un peu bercer par la sensualité des sons. Je n'éprouvais pas le besoin de les structurer pour en faire des morceaux, puisque de toute manière, j'étais persuadé que personne ne voudrait les écouter.
 

Là, j'ai découvert une série de techniques d'écriture dont j'ignorais tout. Très étonnamment, j'avais travaillé avec des enregistreurs à bande depuis mes 13-14 ans, mais j'avais fait surtout des boucles, avec des enregistreurs distants, des bandes qui traversaient la pièce, etc., mais je n'avais jamais vraiment coupé la bande ! Coller une bande était un acte qui ouvrait toute une série de perspectives. Puis en 1991, les samplers se sont perfectionnés et les techniques se sont affinées.

Pour vous, la musique contemporaine est donc intimement liée aux évolutions technologiques ?

Leur rencontre permet d'exprimer une certaine complexité dans un sens qui n'est pas purement abstrait ni théorique. Il s'agit de refléter la vie. Comme le montraient déjà mes petites radios, on perçoit simultanément des événements, des faits ou des instants parallèles et tout à fait indépendants, des « streams » qui en se juxtaposant créent des accidents qui peuvent produire quelque chose de fort. Cela évoque un travail sur le hasard tel que Cage a pu le faire…

J'explore cette dimension depuis quelques années. Dans un concert ou un film, j'aime qu'il y ait plusieurs grilles de lecture ; je n'apprécie pas d'être trop dirigé et je préfère les histoires ou les œuvres dans lesquelles une série de fils différents permettent à l'auditeur ou au spectateur d'avoir une écoute et une vision créatives et de réinventer son histoire.
 
Pour moi la recherche est au moins aussi importante que la composition. Je pense que c'est le cas pour beaucoup d'autres compositeurs en musique contemporaine.
Avez-vous un projet à l'aube d'une œuvre nouvelle qui motive votre recherche dans un sens précis ? Ou votre quête part-elle toujours de manière ouverte ?
Les deux cas peuvent se présenter.
 
En général, ma recherche ouverte est quasi permanente et pas nécessairement dirigée vers une œuvre. Elle est « ouverte » à la technologie…
 
Je passe encore beaucoup de temps à construire des éléments électroniques, essentiellement des capteurs qui réagissent aux mouvements. Je programme également des algorithmes de traitement du son qui peuvent le modifier. Le mapping m'intéresse surtout : il s'agit de la correspondance entre des valeurs qui viennent des capteurs et les paramètres des instruments. Le même instrument virtuel (qui peut créer ou transformer du son) peut sonner extrêmement différemment en fonction de la manière dont on le contrôle. En cherchant des mécanismes de contrôle, on organise presque automatiquement le son. On est déjà un peu dans la composition.
 
C'est en cherchant que les idées fusent, évoluent et se concrétisent.
 
Parfois je pense à une manière d'organiser les sons qui n'existe pas encore (ou que je n'ai pas entendue) et je réfléchis à la création de logiciels capables d'atteindre cet idéal.
 

Dans Obsession en 1991, j'avais envie de travailler sur l'énergie de l'eau sans les sons de l'eau. J'avais commencé à enregistrer, bande de fréquence par bande de fréquence, différents sons d'eau et à les analyser avec le matériel de l'époque : des modules pitch to MIDI (fréquence vers le MIDI, celui-ci étant un protocole de connexion entre les instruments de musique électronique). J'obtenais des détections de notes dans chacune des bandes de fréquence et après avoir fait la même chose 20 fois pour le canal droit et 20 fois pour le gauche, mon séquenceur  engrangeait des fichiers qui reproduisaient l'énergie dans chacune des bandes de fréquence. Je me disais qu'il serait intéressant de pouvoir sculpter ce matériau. Sur le clavier du synthétiseur, chaque note enfoncée pouvait devenir un aimant qui attirerait ces gouttes d'eau virtuelles ! J'ai développé des algorithmes pour jouer sur le clavier, avec différents potentiomètres permettant de régler les forces d'attraction, la manière dont les notes étaient attirées, comment se répartissaient les courbes de volume autour de ces aimants, etc. Cela devenait un nouvel instrument !

Vous explorez donc une nouvelle perspective musicale ?

Je me sens proche de Xenakis qui n'a pas essayé de rester lié à un courant musical de son époque mais qui a eu des visions. Il racontait combien il avait été impressionné par les manifestations en Grèce et par les bruits de la foule, ou qu'il voulait reproduire la myriade des gouttes d'eau qui tombent pendant une pluie… En dehors du langage musical de son époque, il a développé des processus stochastiques qui lui permettaient de générer, pour des instruments traditionnels (il a fait quelques pièces électroacoustiques moins connues), ce qu'il imaginait. Je serais plutôt dans cette direction-là : je me préoccupe moins du langage musical (tout en sachant que j'ai appris des techniques d'écriture électroacoustiques et qu'elles me servent à chaque fois que je compose), en tout cas je ne me focalise pas sur les techniques existantes, mais j'imagine des manières de structurer les sons qui proviennent d'autres domaines de l'activité humaine, et des sciences notamment.
 

C'est pourquoi je sens une grande proximité avec Pierre Schaeffer. Non seulement parce qu'il est à la base même de l'avènement de la musique concrète, ou pour son approche iconoclaste qui a permis d'inclure dans le champ de la musique des sons qui, au mieux, étaient considérés comme non musicaux et, au pire, comme bruits. Mais deux autres aspects de sa démarche me semblent fondamentaux : d'une part l'accent mis sur la perception des sons plutôt que sur leurs modes de production et, d'autre part, l'utilisation et le détournement des technologies de son époque dans une optique de nouvelle lutherie.

Vous avez lancé un projet d'exploration du « corps sonore » avec l'altiste de l'Ensemble Musiques Nouvelles, Dominica Eyckmans. En plus de l'électroacoustique, interviennent un musicien, son corps et son instrument de musique…

L'idée vient de Dominica Eyckmans. Elle m'a contacté à la suite d'une commande de Musiques Nouvelles et d'Art Zoyd en 2003 pour une Expérience de Vol.

J'avais déjà travaillé avec une violoniste, Stevie Wishart, sur un projet qui s'appelait Quartet, à Londres. Il s'agissait de placer différents capteurs sur ses bras et sur son violon afin d'augmenter les possibilités de l'instrument en transformant le son selon ses gestes musicaux. Analysé, celui-ci, joint aux gestes de Stevie, faisait se mouvoir une danseuse virtuelle générée en temps réel. Le rapport entre danse et musique existait déjà mais de manière un peu différente. La violoniste composait en sachant (au bout d'un temps de répétitions relativement long) quel effet produisait son choix de notes et de gestes sur cette danseuse virtuelle.
 
Cette collaboration avec Stevie Wishart était le prolongement d'une recherche avec la danseuse et chorégraphe Michelle Noiret. Depuis 1997, nous avons réalisé neuf spectacles ensemble et j'ai souvent utilisé des capteurs pour saisir les mouvements des danseurs et en répercuter une partie dans le son, dans la musique. J'ai ensuite utilisés les capteurs développés pour Quartet dans une de ses chorégraphies : De deux points de vue, par les Ballets de Lorraine à Nancy. Un danseur y est équipé des mêmes capteurs (à base d'accéléromètres et de gyroscopes) que ceux que Dominica Eyckmans utilise et qui, à un certain moment du spectacle, génèrent toute la musique à travers les mouvements du corps.
 

A la différence de Stevie Wishart, Dominica Eyckmans ne veut pas que le geste musical intervienne au niveau des capteurs; c'est le rôle de la danse. C'est pourquoi nous avons d'abord placé les capteurs sur ses jambes et pas sur le reste de son corps. Je crois cependant que nous allons évoluer et en rajouter d'autres car les mouvements du torse sont intéressants ; ceux des bras aussi, quand ils sont moins directement liés à la production du son de l'instrument.

Selon Dominica, c'est le corps sonore (l'alto) qui produit le son parce qu'il est joué à travers les gestes d'un instrumentiste, et le reste de ses mouvements contribue à transformer ce son. Le corps sonore est donc constitué de l'ensemble indissociable instrumentiste-instrument.
 

À l'aide des capteurs et de la panoplie de software et de logiciels qui suit, le corps lui-même peut générer des sons, même en l'absence de l'alto. L'ensemble crée une pluralité, un univers sonore composé de ce qui est joué à l'alto au moment même et de sons que l'on a préenregistrés. Toute une série de techniques de jeu d'alto sont injectées dans le logiciel et transformées en direct, et elles apparaissent ou disparaissent en fonction de ses gestes.

S'agit-il alors d'un travail de « co-composition » ou encore de « co-improvisation » ?

C'est là que les choses deviennent difficiles à définir… Certaines personnes me demandent si j'estime toujours être le compositeur. Mais… la musique contemporaine est pleine d'exemples de partitions où l'on demande à l'interprète d'improviser sur un certain canevas à un moment donné. Donc, ça fait déjà partie d'une tradition ! Et le seul fait de définir ce mapping, cette correspondance entre des gestes et des sons, est déjà pour moi un acte de composition, car c'est un acte d'organisation qui détermine la manière dont les gestes vont créer du son. Cela définit un nouveau langage musical. Mais dans le cas particulier de la collaboration avec Dominica, on peut réellement parler à la fois de co-composition et de co-improvisation.
 

La danse contemporaine me semble être un lieu extrêmement intéressant pour la musique. Dès lors que l'on trouve une résonance avec l'univers d'un autre artiste et qu'on a la possibilité de travailler avec lui, les langages artistiques s'enrichissent mutuellement. On fournit un ensemencement qui permet de faire germer l'imagination de l'auditeur. C'est lui qui amplifie et combine ce qu'il voit et entend, et qui laisse naître en lui des sensations, des émotions, des images nouvelles.

Dans cette vision, la musique n'est-elle pas devenue un moyen plutôt qu'un but en soi ?

N'a-t-elle pas toujours été un moyen ?
 
Pour certains compositeurs, la musique doit rester pure : une organisation de sons pour produire un effet sonore et émotionnel. Mais ici, peut-on parler de musique pure ?
 
Il y a des gens qui parlent de musique pure quand elle n'est pas associée à un autre média. Dans ce cas-ci, elle n'est pas pure alors. Mais ça ne me dérange pas du tout. La musique pour la musique, d'accord, mais qu'elle reste un moyen de transmettre quelque chose, en dehors même de toute connexion à un autre médium !
 
Lors d'un spectacle de danse, on ne ferme pas les yeux, on regarde; donc notre perception sonore est influencée par la perception du mouvement et vice-versa. Je ne vois pas où est le problème.
 

Je comprends que certaines personnes fassent la distinction, car dans certains cas la musique doit s'effacer par rapport à d'autres médias. Comme au théâtre où, en général, à part entre les actes, il y a peu de place pour la musique car il faut qu'on comprenne le texte. C'est très différent avec la danse dont le son ne couvre pas la musique et n'est donc pas un facteur perturbateur. Et ces deux perceptions peuvent s'amplifier l'une l'autre…

Le compositeur serait-il un éveilleur ?

Le rôle d'éveilleur n'est-il pas celui de tout artiste ?
 
C'est peut-être naïf ou d'un autre siècle, mais j'ai envie de toucher les gens. L'avantage de la musique concrète, électroacoustique ou acousmatique, c'est de travailler sur le matériau sonore comme travaille un sculpteur.
 

Dans la musique abstraite, les symboles écrits sur une partition sont des symboles abstraits transformés en sons par la qualité des instrumentistes et la direction d'un chef. Tandis que nous travaillons directement sur le matériau sonore, ce qui nous permet d'être les premiers auditeurs. Le compositeur de musique instrumentale a bien sûr toute son expérience pour l'informer mais il n'entend réellement son œuvre que la première fois qu'elle est exécutée, après avoir passé plusieurs semaines ou plusieurs mois à la composer.

Comment éviter que la puissance de ce matériau électroacoustique encore en évolution n'occulte pas un scénario poétique ?

Ce n'est pas parce qu'on bénéficie d'un large éventail de moyens qu'on est obligé de les utiliser tous ! Qui peut le plus peut le moins. Il est possible de faire des choses très fines avec une ou deux couches et de très petites modulations jusqu'à des inflexions d'une seule couche. Je ne pense pas du tout que le fait de travailler avec de la musique électroacoustique nuise en quoi que ce soit à la poésie.
 
J'aime la poésie un peu immatérielle de la musique électroacoustique. Elle n'est pas nécessairement liée à la présence de quelqu'un sur scène.
 

Par ailleurs, la spatialisation m'intéresse beaucoup. La localisation des sons en différents endroits de la salle de concert offre une transparence supplémentaire, comme lorsque l'on passe de la mono à la stéréo. Avec plusieurs haut-parleurs, on peut générer une autre forme de poésie composée d'éléments stables dans l'espace en relation avec des éléments mobiles. C'est une cinétique de l'imagination.

C'est une émotion musicale ?

Qu'est-ce qu'une émotion musicale ? Cela ne dépasse-t-il pas le musical ?

Poursuivez-vous une quête?

Beaucoup d'éléments du quotidien m'interpellent et me gênent. Ce besoin de croire à tout et à n'importe quoi… Le manichéisme dans l'analyse d'une situation… J'aimerais que ma musique suggère la dualité des choses. Un élément sonore dans un certain contexte peut avoir une influence différente dans un autre. Il faut recontextualiser. Je crois au doute. Le doute est un grand moteur et la certitude un frein. Le questionnement, les rapprochements, les liens entre les différentes disciplines sont autant de choses qui me motivent, m'intéressent et me poussent à continuer.

Dans cet univers sonore qui met en scène et fait naître des espaces chimériques ouverts, quelle est votre conception du temps ?

En couplant dans une même question le temps et l'espace, on met le doigt sur la perception du temps comme mécanisme de la perception même qui varie beaucoup en fonction de l'espace. Le rapport entre le temps et l'espace se décrypte à travers le travail du compositeur de musique concrète sur la matière. Celui-ci teste sur sa propre perception sa composition dans toutes les étapes de sa création. En fonction des éléments sonores et de l'endroit où on les localise (un son sec très proche, un son réverbéré très lointain ou une série de couches qui semblent flotter), selon qu'on crée une pulsation rythmique ou un flottement, l'impression du temps qui passe est très différente.
 
Le jeu sur la distorsion du temps me passionne : la compression ou l'extension temporelle de certains sons et leur mise en relation peuvent donner l'impression de deux temps différents. C'est très empirique : je n'ai pas de théorie sur le sujet !
 

Je suis intéressé par la création de temps lent et de temps rapide. D'un point de vue scientifique, c'est très hypothétique, mais on sait que les mécanismes de la perception nous trompent sur le temps réel. J'essaie d'explorer ces différentes possibilités : temps lisse, temps strié, temps fragmenté… que je ressens et mets en pratique dans ma composition sans que je puisse encore clairement les expliciter.

Ceci nous ramène à votre souvenir d'enfance, les écouteurs à cristal sur les oreilles…

Ma madeleine était russe ! C'est une langue que j'entendais beaucoup sur les ondes courtes.
 

Mais je suis né en Belgique. Mon père était d'origine bulgare et ma mère hollandaise. Mon père étant réfugié politique, on ne pouvait pas retourner en Bulgarie. Il est mort en 1987, avant la chute du mur, et il me disait toujours de ne pas y aller, car j'aurais pu y entrer et ne pas en ressortir. J'y suis allé bien plus tard…

Et si vous deviez sauver une œuvre dans l'histoire de la musique ?

C'est vraiment difficile. Le Sacre du Printemps de Stravinsky a beaucoup marqué mon adolescence. Quelle puissance unique et quelle poésie !

C'est sans doute une des œuvres qui m'a fait percevoir la musique instrumentale de manière différente. Ma mère écoutait beaucoup de musique classique mais pas du tout contemporaine… Je ne me souviens plus si j'ai entendu la musique du Sacre seule ou si je l'ai découverte à la télé avec le ballet de Béjart !
 

En musique électroacoustique, j'aurais du mal à en citer une au détriment des autres…

Un compositeur peut-être ?

Tout une série de compositeurs m'ont, sinon influencé, du moins marqué : François Bayle, Bernard Parmegiani, Francis Dhomont… J'y ai trouvé certaines résonances.
 
Mais je suis assez ouvert à différents types de musique…
 

Sinon, je suis toujours très sensible au son, à sa sonorité, à son timbre, à sa facture. J'ai du mal à aimer une œuvre, aussi belle soit-elle formellement, si je n'en aime pas le son. Je n'ai pas cette capacité d'abstraction au-delà du son. Ou, si je peux l'avoir, elle reste purement intellectuelle. Ce qui est important pour moi, c'est que le son me parle et qu'il soit articulé à travers une belle forme.

Qui ne soit pas nécessairement mélodique ?

Ah non ! Absolument ! Ce n'est pas nécessaire. Elle peut l'être, mais la qualité du son est un paramètre plus important dans ma relation à la musique que la mélodie.
 
Propos recueillis par Isabelle Françaix à Bruxelles, en janvier 2009
Photos : Pierre Radisic. Télécharger les photos.