Imprimer Chercher

Pierrot Rewrite

Dans le cadre d'Ars Musica 2014
Télécharger le programme de salle : CLIC

VIDEOS DU CONCERT (Asbl Mélismes)
-Pierrot Rewrite I: Pauline CLAES et Musiques Nouvelles : 22 créations
-Pierrot Rewrite II: Michel Hermon et Musiques Nouvelles :Pierrot lunairede Schoenberg

IMAGES
- Répétition du Pierrot Rewrite : ICI
- Générale du Pierrot Rewrite : ICI 
- Captations d'images du vidéaste d'Yves Mora : ICI

Revue de Presse : Ars Musica et les monstres sacrés : ICI

Coproduction : Le manège.mons/Musiques Nouvelles - Halles de Schaerbeek - Ars Musica
Coprésentation : Bozar

Pauline Claes (mezzo-soprano) &  Michel Hermon (baryton)


Musiques Nouvelles, direction Jean-Paul Dessy

Claire Bourdet (violon & alto) - Jean-Pol Zanutel (violoncelle) - Berten D'Hollander (flûte) - Charles Michiels (clarinette & clarinette basse) - Kim Van den Brempt (piano)


Scénographie François Schuiten, Thomas Delord Alexandre Obolensky


Créé il y a un siècle, le Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg marque l’un des actes de naissance de la modernité artistique – « le plexus solaire [...] de la musique du début du XXe siècle », déclara Stravinsky. Plexus lunaire, plutôt, tant est nocturne l’impression qui se dégage de ce cycle de vingt-et-un mélodrames inspirés de poèmes du symboliste décadent belge Albert Giraud (1860-1929). Le thème mélodramatique du Pierrot parcourait les textes littéraires de ce journaliste francophone : Rondels bergamasques (1884), Pierrot Narcisse songe d'hiver, comédie fiabesque (1887), Héros et pierrots (1898). Ce qui aurait pu appeler une musique postromantique inspira à Schoenberg l'atonalité la plus inattendue à travers une pantomime satirique quasiment expressionniste. Nostalgie et tragique hantent ce spectacle au climat de cabaret halluciné.

Liens : Textes du Pierrot lunaire lunaire, op.21 + Texte intégral du Pierrot lunaire d'Albert Giraud


C'est Albertine Zehme, chanteuse de cabaret berlinois, qui lui passe commande du Pierrot lunaire en 1912, l'occasion inespérée pour Schoenberg de désarticuler la tradition du lied romantique. Avec cet Opus 21 destiné à une chanteuse-diseuse et à un quintette d’instrumentistes, Schoenberg invente le ‘Sprechgesang’, ce style parlé-chanté qui allait connaître une si riche postérité… Cette fois, en 2014 et contre toute attente, c'est un homme qui le chantera : Michel Hermon relève le défi !


Ni chant, ni déclamation, entre chant et théâtre, bien différent d'une façon de parler chantante, le 'Sprechgesang' est un tour de force.


En tête de la partition, Schoenberg prend soin de noter clairement ses recommandations :

"La mélodie indiquée dans la partie vocale à l'aide de notes, sauf quelques exceptions isolées spécialement marquées, n'est pas destinée à être chantée. La tâche de l'exécutant consiste à la transformer en une mélodie parlée en tenant compte de la hauteur de son indiquée. Ceci se fait :

1) En respectant le rythme avec précision, comme si l'on chantait, c'est-à-dire, sans plus de liberté que dans le cas d'une mélodie chantée.

2) En étant conscient de la différence entre note chantée et note parlée : alors que, dans le chant, la hauteur de chaque son est maintenue sans changement d'un bout à l'autre du son, dans le Sprechgesang, la hauteur du son, une fois indiquée, est abandonnée pour une montée ou une chute, selon la courbe de la phrase.

Toutefois, l'exécutant doit faire très attention à ne pas adopter une manière chantée de parler. Cela n'est pas du tout mon intention. Il ne faut absolument pas essayer de parler de manière réaliste et naturelle. Bien au contraire, la différence entre la manière ordinaire de parler et celle utilisée dans une forme musicale doit être évidente. En même temps, elle ne doit jamais rappeler le chant.

Incidemment, j'aimerais faire le commentaire suivant, quant à la manière d'exécuter la musique. Les exécutants ne doivent jamais recréer l'atmosphère et le caractère des morceaux individuels, en se basant non pas sur la signification des mots, mais sur celle de la musique. Dans la mesure où la manière, indiquée dans le texte, de rendre les événements et les sensations, manière semblable à un tableau tonal, a été importante pour l'auteur, on la retrouve de toute façon dans la musique. Même si l'exécutant estime qu'il manque quelque chose, il doit s'abstenir d'apporter des éléments qui n'ont pas été voulus par l'auteur, sinon il nuirait à l'œuvre au lieu de l'enrichir."


Le projet Pierrot Rewrite dans sa globalité propose de replonger dans la poésie de Giraud, en demandant à 22 compositeurs de mettre en musique autant de poèmes parmi les 50 qui constituent le cycle original du Pierrot Lunaire


La confrontation entre ces 22 miniatures, œuvres de compositeurs aux esthétiques très diverses interprétées par la mezzo-soprano belge Pauline Claes, et le chef-d’œuvre originel de Schoenberg chanté par Michel Hermon, est une manière de revenir aux sources de la modernité musicale.


Pierrot Lunaire et Musiques Nouvelles


En mai 68, l'Ensemble Musique Nouvelle (sans "S" et avec un "E" majuscule) jouait lePierrot lunaired'Arnold Schoenbergau Palais des Beaux-Arts, sous la direction dePierre Bartholomée, qui s’en souvient très bien: En début de soirée, l’ONB avait joué deux fois Le Sacre du Printemps sous la direction de deux chefs différents … Drôle d’époque! Notre chanteuse était Marie-Thérèse Escribano, qui chantait de mémoire et jouait très finement le personnage.


En 1993, Musique Nouvelle, dirigé parJean-Pierre Peuvion, enregistrait sous le label ADDA le Pierrot lunaire et les Cabaret Songs avec la soprano Yumi Nara.

"Schoenberg met en place non pas une musique de théâtre, non pas une musique qui commente ou qui prolonge les intentions du texte, mais un véritable geste instrumental, consubstantiel à la phrase musicale. Au-delà, ou à côté de l'écriture musicale traditionnelle, il invente une nouvelle sorte d'écriture instrumentale, faite d'authentiques 'figures théâtrales' qui parcourent toute l'œuvre, pouvant être réduites parfois à une seule note."Jean-Pierre Peuvion- livret ADDA - 1993

Programme


Première partie: 22 créations mondiales ARS MUSICA

Voix : Pauline Claes (mezzo-soprano)


Papillons noirs - Alithéa Ripoll

Ivresse de lune - Baudouin de Jaer

À Colombine - Denis Levaillant

Coucher de soleil Stephane Ginsburgh

Arlequin Michel Lysight

À mon cousin de Bergame - Todor Todoroff

L'escalier Paula Defresne

Décor - Philippe Schoeller

Pierrot polaire - Renaud De Putter

Le miroir Christophe Guiraud

Spleen Jean-Philippe Collard-Neven

Cuisine lyrique - Henry Fourès

Église - Pierre Slinckx

Violon de lune - Michel Fourgon

Poussière rose - Stéphane Collin

Cristal de Bohême - Jean-Pierre Deleuze

Décollation Christian Zanési

Les nuages - Jean-Paul Dessy

Absinthe Jean-Marie Rens

L'alphabet - Denis Bosse

Les cigognes - Jean-Luc Fafchamps

Pierrot cruel Claude Ledoux

*

PAUSE

*

Seconde partie

Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg

Voix : Michel Hermon

I.
1. Mondestrunken (Ivresse de lune)
2. Colombine (Á Colombine)
3. Der Dandy (Pierrot dandy)
4. Eine blasse Wäscherin (Pierrot au lavoir)
5. Valse de Chopin
6. Madonna (Évocation)
7. Der kranke Mond (Lune malade)

II.
8. Nacht (Papillons noirs)
9. Gebet an Pierrot (Supplique)
10. Raub (Pierrot voleur)
11. Rote Messe (Messe rouge)
12. Galgenlied (La chanson de potence)
13. Enthauptung (Décollation)
14. Die Kreuze (Les croix)

III.
15. Heimweh (Nostalgie)
16. Gemeinheit ! (Pierrot cruel)
17. Parodie
18. Der Mondfleck (Brosseur de lune)
19. Serenade (La sérénade de Pierrot)
20. Heimfahrt (Départ de Pierrot)
21. O alter Duft (Parfums de Bergame)

Notes de programme

Décor - Philippe Schoeller

Cette miniature est courte dans la durée, oui, mais infinie dans sa densité. Intensité du réel. Différences extrêmes des lignes de forces où l'énergie vocale traverse des espaces acoustiques oscillant entre l'exactitude du silence et la fureur subtile du quintette instrumental. La singularité de l'ensemble des poèmes d'Albert Giraud, composés en 1884, tient au fait que ce recueil trace une sorte de vitrail dynamique, de mosaïque complexe et organique où les images, réelles ou oniriques, ouvrent des perspectives proches de l'opéra, oui, mais dans un élan doté d'une vitesse inouïe. Cinématographique. Son aspect visionnaire résonne dans notre monde numérique,trans-industriel, chaotique et zébré d'éclairs de l'ultra-violence. L'hallucination en est le moteur. Le "décor" est rituel de la transe, de l'épiphanie permanente propre à chacun des poèmes, ici lancée dans toutes formes de limites.

*

À Colombine - Denis Levaillant

J’ai été cueillir pour vous, et pour l’auteur, quelques couleurs-timbres au clair de lune, afin d’offrir ce rondeau chanté (j’insiste) à Colombine - et à sa «toison brune», loin de cette «chevelure» («auf deine braunen Haare») pudiquement inventée par la traduction allemande. Je me suis souvent demandé, si l’avant-garde des années 1950, plutôt que de suivre le Schoenberg du Pierrot, avait choisi de prolonger le Ravel des Poèmes de Mallarménotre musique d’aujourd’hui n’aurait-elle pas échappé à quelques impasses ? Pour ma part, le choix est fait, depuis longtemps.

*

À mon cousin Bergame - Todor Todoroff

J’ai choisi d’aborder le poème de manière purement électroacoustique, sous l’angle des sonorités, au gré des allitérations. Le sens, d’ailleurs relativement différent dans la traduction en allemand «Mein bruder» de Otto Erich Hartleben, est revisité à travers la mise en avant de fragments de phrases, de mots, de syllabes, dans les deux langues, en fonction de leurs sonorités et de leur puissance onirique. Des techniques de granulation sont utilisées pour faire apparaître les profils prosodiques et les microperturbations vocales, de manière à créer des matières sonores organiques qui révèlent, à travers l’exploration des phonèmes et des transitions vocaliques, une autre lecture de ce poème symboliste.

*

Cuisine lyrique - Henry Fourès

Une chanteuse, un micro, deux hauts parleurs, une recette d’Albert Giraud cuisinée aux ondes courtes d’un électro Hip Hop à la manière de…. Légèrement décalé, un soupçon de slam… Pierrot est invité.

*

Église - Pierre Slinckx

Pierrot, d'un air inspiré, s'avance dans la pénombre d'une église qui semble s'effondrer sous le poids des innombrables blessures qu'elle recèle. Dans ce sombre décor, il ne peut se fier qu'à la lumière lunaire qui émane de son propre corps...

*

L'alphabet bariolé - Denis Bosse

Cette pièce est construite très simplement d'abord pour la voix à partir des 12 premières notes différentes du Pierrot Lunaire. A chacune de ces 12 notes sont associées 12 durées différentes en progression selon les nombres premiers jusqu'à 31. La première note est répétée à la fin, ce qui fait en tout 13 notes. Chaque vers du poème de Giraud est chanté d'une manière régulière dans chaque durée. Cela crée des polyrythmies successives entre la scansion du texte et la métrique. Cette boucle est reprise par chaque instrument dans un canon à 12 voix. Ces canons sont comme l'écho de la voix et résonnent en profondeur dans une dynamique beaucoup plus douce mais riche de multiples couleurs. Cette caractéristique renvoie à l'idée de mélodie de timbre inventée par Schoenberg et en particulier à son oeuvre FarbenCette manière de procéder, comme une mécanique de boîte à musique, me semblait être un petit jeu enfantin aussi en relation directe avec le poème de Giraud que j'ai choisi.

*

Poussière rose - Stéphane Collin

Une brève analyse du texte m'a convaincu que son auteur aimait les mécaniques finement réglées. Sur base d'une sémantique somme toute anodine, toute la numérologie afférente au nombre d'or, croisée avec une exigence de symétrie binaire dans les vers et fertilisée d'une métrique mathématique au sein de ceux-ci, m'ont induit cette idée, que je sais chère à Schönberg lui-même, que le geste intellectuel, pour Giraud, dans sa prétendue splendeur universelle, doit, en art, prévaloir sur le ressenti émotionnel considéré comme conjecturel et anecdotique. C'est donc en plein accord avec mes principes propres que j'ai pris le contre-pied de cette attitude, que j'ai enlevé du texte deux vers qui ne s'y trouvaient que pour justifier ladite architecture, au mépris de toutes autres bonnes raisons, et que j'ai mis tout mon talent, pour peu que j'en aie, à insuffler à ceux qui restent une chose que d'autres avant moi appelaient pneuma.

*

Pierrot polaire - Renaud de Putter

Je n'avais pas l'envie ou les capacités de concevoir cette mélodie comme une réponse au Pierrot Lunaire. Le Pierrot est une affirmation musicale des plus nettes, il n’interroge pas, il ne demande pas de réponse. Mais il propose des chemins. Ceux que nous suivons aujourd’hui, dans leur diversité, ont tous été profondément influencés par lui, même si depuis, le paysage a beaucoup changé. Les pratiques se poursuivent, multiples et personnelles. Ma mélodie n’est rien d’autre qu’une pierre quelque part sur l’un de ces chemins. Si elle se souvient de Schoenberg, c’est presque involontairement, et d’ailleurs avec au moins autant d’affection pour celui du Pierrot que pour celui des Gurre-Lieder.

*

Absinthe - Jean-Marie Rens

Le texte Absinthe d’Albert Giraud a été mis en musique en tenant compte d’une demande assez inhabituelle : s’inscrire dans un projet de concert ou le Pierrot lunaire de Schoenberg est également joué. C’est donc assez naturellement, sans pour autant tomber dans le travers du pastiche, que j’ai utilisé quelques-unes des caractéristiques du langage de Schoenberg et tout particulièrement sur le plan harmonique. Sur le plan du matériau, ce sont les trois premières lettres, ainsi que la dernière, du mot Absinthe qui alimente cette courte pièce: à la fois sur le plan des hauteurs, mais aussi, partiellement, sur celui du rythme. Texte et musique sont ici intimement liés, puisque la musique commente pas à pas l’univers onirique engendré par l’absinthe.
*

Arlequin - Michel Lysight

Arlequin est d'inspiration minimaliste, deux courts motifs modaux immédiatement reconnaissables se répétant ou se superposant. Toutefois, chaque apparition de ces motifs est variée d'une manière ou d'une autre (instrumentation,modulation, rythme, contrepoint etc.), la voix étant traitée sur un strict plan d'égalité avec les instruments. La recherche de subtiles couleurs au niveau des sonorités y est particulièrement présente.

*

Les nuages - Jean-Paul Dessy

Déchant posant pas à pas une mélopée nue

Nuançant un silence frémissant et sans âge

*

Les cigognes - Jean-Luc Fafchamps

Au cœur du Pierrot Lunaire de Giraud, le sonnet "Les Cigognes" est un genre d'estampe poétique dont Pierrot est peut-être physiquement absent, mais qui dépeint sa mélancolie. Le dessin en est simple: la ligne d'horizon, la verticalité des échassiers, leur reflet "renversé" sur le miroir d'une mare. Ces cigognes mélancoliques "ont vu les feux obliques d'un grand soleil de désespoir": soleil noir, douleur symétrique. Ce sombre crépuscule est animé par quelques sons secs, comme une musique minimale... Savez-vous comment les cigognes communiquent ? Elle claquent du bec... plusieurs fois, vite, en de curieuses castagnettes.

*

Ivresse de lune - Baudouin de Jaer

En regardant la partition toute en longueur, de côté, vous y verrez un croissant de lune ; la mélodie s’y faufile en une série de notes égrainée sur des segments de 12 sons. Puis le croissant comme un arc lance une autre face; après doux comme le hautbois écrit pour l’EMN - dans laquelle on y voyait l’alignement des planètes du système solaire en date du 4 février 1962 - veille de la naissance de l’EMN, cette fois, vous y trouverez la lune tourner autour des doux conseils pernicieux.

*

Papillons noirs - Alithéa Ripoll

Papillons Noirs est une pièce qui s'articule en trois mouvements distincts, une sorte de A-B-A'. Pour flûte, clarinette, mezzo-soprano, violon, violoncelle et piano, elle amène un grondement sourd, grave et rapide soutenu par un canon qui accompagne la voix. Ensuite, les papillons se posent et profitent du "parfum troublant la mémoire", ouvrant et fermant leurs ailes de manière presque régulière, avant de reprendre leur envol, assoiffés de sang. Dans cette dernière partie, la voix sera accompagnée de sons plus graves sur un brouillard de notes plus stridentes. Les papillons disparaissent aussi rapidement qu'ils sont venus, on les cherche des yeux et des oreilles, et on ne les voit plus... Fin abrupte.

*

Coucher de soleil - Stephane Ginsburgh

Coucher de Soleil pour voix, clarinettes et piano est une chanson qui épouse la structure simple du poème d'Albert Giraud. La chanteuse y évite tout effet lyrique en suivant le chemin tortueux du texte. Elle est soutenue par un piano polyrythmique et mouvant, à la limite de la perte d'équilibre. Comme un soleil tremblant qui se regarde descendre sans pouvoir freiner sa course.
*

Décollation - Christian Zanési

Décollation (œuvre acousmatique) « - Apparemment il s’agirait du dysfonctionnement d’un serveur de chez Google

*

Violon de lune - Michel Fourgon

Violon de Lune (2014), pour mezzo-soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano est écrit à partir du poème éponyme d'Albert Giraud. L'instrumentarium est identique à celui du Pierrot Lunaire de Schoenberg. Durant la pièce, la musique cherche souvent à rendre l'atmosphère du texte avant que celui-ci ne soit chanté, de sorte qu'un décalage constant se produit entre la sémantique du chant et celle des parties instrumentales. Par ailleurs, un rôle conducteur est assigné au violon, lequel frémit dans les languides rais de lune imaginés par Giraud.

*

Spleen - Jean-Philippe Collard-Neven

C’est curieux, lorsque l’on me parle de Pierrot, c’est à Marcel Carné que je pense. Dans Les Enfants du Paradis, portés par les mots de Jacques Prévert, Jean-Louis Barrault, Arletty, Maria Casarès et Pierre Brasseur font vivre sous nos yeux une galerie de personnages sur la scène d’un théâtre qui n’est rien d’autre que le théâtre de la vie. Nathalie aime Baptiste, Baptiste aime Garance mais Garance se lie avec Frédéric alors qu’elle aime en secret Baptiste. Et alors que Nathalie essaie de persuader Baptiste que «c’est si simple l’amour», ce n’est que sous les trait de Pierrot et sur scène que celui-ci peut exalter sa passion amoureuse pour une autre. Mais notre Pierrot à nous aujourd’hui est celui d’Albert Giraud, et dans Spleen ce Pierrot de Bergame s’ennuie au point qu’il a renoncé au charme du vol. Et il berce son ennui dans la langueur d’une ballade jazz, de celles que l’on écoute tard le soir, en regardant au loin derrière la glace du comptoir, comme le chantait Léo Ferré, car il est tard, il est bien tard…

*

Le miroir - Christophe Guiraud

Le « Miroir » est un des poèmes du Pierrot lunaire que Schoenberg n'a pas mis en musique. Ainsi, cette pièce se veut plus un hommage à Albert Giraud qu'à la création du compositeur viennois, hommage à la douce violence, l'ironie, l'inquiétude, la joie hystérique qui émanent de ce recueil. C'est ce sourire grinçant et inquiétant du poème de Giraud que Guiraud a cherché à rendre sensible. La partie instrumentale surgit et se délite de manière autonome, la voix passe sur cette surface spectrale et complexe. Elle la contemple, comme de l'extérieur. L'objet-miroir est bien le protagoniste de cette miniature ludique et « subtile » qui avance de manière plus ou moins masquée ses multiples réflexions sonores.

*

Pierrot cruel - Claude Ledoux

Musique «à bout de souffle» qui énonce ses motifs sous la forme d’un rap décadent. Sonorités de cendres tourbillonnantes encore chaudes et de sombres fragments qui vous brûlent le bout des doigts pour vous empêcher de caresser cette voix à peine chantée, murmurée, haletante jusqu’à en perdre le sens des mots. Ce Pierrot est dédié en toute amitié à Bruno Letort, porteur de ce beau projet.

*

L'escalier - Paula Defresne

L’escalier est le 49ème poème du recueil d’Albert Giraud, 49 comme le numéro de la maison que je me suis construite afin d’observer en toute quiétude le cheminement de la Lune sur mon Escalier. J’ai passé des nuits à l’observer pour essayer de traduire en sons les traces du «froufrou de lumière» que cet astre féminin par excellence laisse dans nos mémoires.

*

Cristal de Bohême - Jean-Pierre Deleuze

Cher Arnold,

Quel coup de génie, ton Pierrot lunaire! C’est ton œuvre qui nous apparaît comme la plus originale, la plus singulière, et pourtant tu l’as composée en un flux spontané, quasi continu. Quand je pense que tu composais une pièce par jour !... Quel exploit, d’autant plus que ton écriture s’inscrivait dans l’exploration d’un style radicalement nouveau, marqué par la volonté d’abandonner tous repères tonals, et bien avant que la technique de composition dodécaphonique ne s’impose en toute clarté dans ta pensée.

Tu nous montres la beauté que l’on peut tirer de l’emploi récurrent d’intervalles réputés «dissonants», comme le triton ou la septième majeure, qui donnent cette couleur constante, immédiatement reconnaissable à ta musique, et dont le style ne pouvait que servir la poésie de Giraud…

Quelle leçon de composition et d’élaboration artistique puissante pour nous tous!

J’ai essayé d’en tirer parti. Toutefois je dois t’avouer que je ne peux penser ma musique sans l’inscrire dans des «champs de résonance», plutôt que dans des «champs dodécaphoniques», toujours préoccupé de sauvegarder une certaine dimension harmonique. Mais enfin cette préoccupation devrait être bien accueillie par l’auteur de l’un des plus fameux traités d’harmonie … n’est-ce pas?

Avec toute mon admiration.

Jean-Pierre


Représentations passées

30/11/2014
ARS MUSICA - Halles de Schaerbeek - 1030 Bruxelles

Photos : François Schuiten, © Schuiten & Durieux, © ARS MUSICA 2014, Joseph Claes, Isabelle Françaix, Droits réservés. Télécharger les photos.